Pour faciliter et structurer ma pensée, je partirai des caractéristiques du triangle de Karpman. J’ai repris les textes, d’Alain Cardon, jeux de manipulation, petit traité des stratégies d’échec qui paralysent nos organisations, Édition d’organisation, 1995.
- Dans le triangle, les rôles changent : à chaque tour, les rôles changent et l’intensité du malaise augmente. Pour Karpman, sans victime, pas de jeux, car persécuteur et sauveur n’ont rien à se dire.
Dans la relation d’emprise : les positions ne changent pas ! Il y a un dominant, le manipulateur et un dominé, la victime. Même si le manipulateur se fait souvent passer pour une victime, il n’en reste pas moins à sa place de dominant.
- L’aboutissement du jeu (tour dans le triangle) est prévisible et répétitif. Il permet de structurer le temps (j’ai regroupé, ici, les principes 2, 3, 4).
Le cycle de la violence dans une relation d’emprise est différent du tour dans le triangle de Karpman. Il y a une phase de tension, l’irritabilité du dominant augmente, il rend responsable, le dominé de ses frustrations. Le dominé se sent responsable et culpabilise. Une phase d’agression, le dominant donne l’impression qu’il perd le contrôle : cris, insulte, menaces et autres violences explosent pour mieux soumettre le dominé. Une phase d’excuses, le dominant cherche à minimiser, nier, annuler son comportement, pour ce faire il aime à se faire passer pour une victime, il culpabilise et responsabilise le dominé. Une phase de réconciliation, dite aussi « lune de miel », le dominant adopte une attitude agréable et attentive pour quelque temps. Généralement, le cycle s’accélère et gagne en violence.
- Le jeu permet, aux différents protagonistes d’obtenir des signes de reconnaissance ou d’attention.
Les victimes ou les dominés dans une relation d’emprise, se cachent et tendent à nier, à minimiser les actes du dominant en les justifiant et en se responsabilisant.
Ce n’est que très tard qu’elles font appel à des tiers pour les aider.
- Le jeu est une affirmation existentielle, il permet de mettre de l’intensité dans la vie des protagonistes.
Dans une relation d’emprise, les dominés ou victimes d’une relation d’emprise se passeraient bien des tensions et des crises qui jalonnent leur vie. Lors des procédures judiciaires avec les manipulateurs, seul le dominant prend son pied !
- Les jeux peuvent se jouer à trois degrés d’intensité :
premier degré, socialement acceptable, il se compose de quelques altercations verbales passagères.
Au deuxième degré, le jeu est violent et caché du public, les protagonistes en ont honte et le public ne le supporterait pas. Les protagonistes tentent de sauver la face, quelques intimes sont au courant.
Au troisième degré, le jeu réapparaît en public. Il est extrêmement coûteux et violent. Les dégâts corporels et moraux laissent des traces.
La relation d’emprise est toujours violente symboliquement, verbalement et physiquement, car elle dénie l’identité du dominé et toute volonté propre. Seuls les dominés ou les victimes portent la honte. Les victimes se passeraient bien des dégâts corporels et moraux que laisse une telle relation.
- Les jeux se finissent mal. La fin d’un jeu est marquée par un sentiment négatif de tension et d’inconfort. Ce sentiment négatif est réciproque.
Si le cycle de la violence d’une relation d’emprise se termine mal, les sentiments négatifs ne sont pas partagés par la victime et le dominant. Le dominant, lors de ce cycle, c’est soulagé de ses tensions, ses frustrations. Le dominé encaisse la culpabilité, la honte et la responsabilisation.
- Dans le triangle de Karpman tous les protagonistes sont coresponsables du jeu.
Dans la relation d’emprise, la victime porte toute la responsabilité, puisque le dominant se déresponsabilise complètement (c’est l’une des caractéristiques des personnalités manipulatrices et perverses narcissiques). Dans la relation d’emprise, plus la maltraitance est fréquente et grave, moins la victime a les moyens psychologiques de se défendre. Le dominé n’est plus maître de ses pensées, il est envahi par le psychisme du dominant.
« Habituellement, dans les psychothérapies, le thérapeute cherche à rendre ses patients plus responsables de leur destin. Ici le processus doit être inverse. Ces patients portent seuls toute la culpabilité de l’échec de leur couple puis de la violence, devront se déprendre de cette culpabilité. » Page 221, Femmes sous emprise, Marie- France Hirigoyen, Oh Édition, 2005. Les mêmes constatations sont reprises par d’autres auteurs et je les partage entièrement dans ma pratique.
C’est pour moi, le principal piège de la confusion entre le triangle de Karpman et la relation d’emprise, car il enferme les victimes dans « leurs responsabilités » et la culpabilité.
- Les jeux permettent d’atteindre des objectifs cachés. Le jeu permet d’éviter ses responsabilités. Il permet d’obtenir de l’attention.
Dans la relation d’emprise, le dominant rejette et nie systématiquement ses responsabilités et ne ressent aucune culpabilité. Le dominé prend lui la culpabilité, la honte et la responsabilité. Dans la relation d’emprise, le dominé ou victime est au service du dominant et l’objet de toutes ses attentions
- Les jeux sont rarement joués consciemment. Les joueurs sont souvent malheureux de constater qu’ils n’arrivent pas à échapper à ses stratégies d’échec.
Dans la relation d’emprise, le dominant entretient consciemment ou pas (selon les auteurs) le cycle de violence (c’est sa seule façon d’évacuer tensions et frustration).
« Le pervers a une organisation rigide et archaïque fondée sur la jouissance et l’emprise qui lui fait trouver son équilibre sur le dos d’autrui. » Page 38, La fabrique de l’homme pervers, Dominique Barbier, Odile Jacob, 2013.
De plus l’analyse transactionnelle envisage qu’il existe des personnes victimes de situations qu’elles n’ont pas souhaitées, provoquées.
Deux arguments pour terminer, dans la relation d’emprise la victime n’a pas spécialement de relation avec un sauveteur. Les victimes dans la relation d’emprise se gardent bien de provoquer le dominant.
- Le triangle de Karpman ou triangle dramatique est une notion d’analyse transactionnelle. Il analyse les jeux de pouvoir qui se mettent en place entre trois rôles : un persécuteur, une victime, un sauveur.